DISCOURS DU PRÉSIDENT IBRAHIMA BA en 1971
D’abord dans sa forme orthographique nous avons voulu être l’avant-garde.
Le décret fixant la transcription des langues vient seulement de paraitre au journal officiel de juin 1971. Au JARAAF nous l’avons attendu parce que nous étions convaincus que le génie d’une race ne peut s’exprimer que dans la langue propre. Dès le départ donc nous avions refusé de faire partie des déracinés dont parlaient Barrés. C’est pourquoi mon idée première était de vous accueillir très simplement à l’africaine sans vous prononcer de discours écrit mais de demander à mon cœur les paroles que lui aurait inspiré votre présence, le désir que je sens en chacun d’entre vous de faire de notre JARAAF une famille d’où seraient exclus méchanceté, haine, hypocrisie, cabales pour ne laisser la place qu’à nos très chers unité, compréhension, entraide, sans oublier leur aîné amour.
Ainsi me voici obligé au lieu de tout vous dire dans les yeux de vous quitter de temps en temps pour me replonger dans mes papiers avec l’espoir que bientôt, nous trouverons la formule qu’il faut à nos assises.
Je ne voudrais pas être long, mon propos est simplement de replacer notre assemblée au cœur de la réflexion dans le contexte de travail, de clarification et de clarté que nous voulons lui donner.
Il y a deux ans, c’était le 20 septembre 1969 précisément. Les murs de cette salle vibrent encore de l’écho produit par la vague d’enthousiasme qui a soulevé tous ceux qui ont vécu cette journée mémorable. Les espoirs de Dakar et le foyer France Sénégal, deux clubs au passé glorieux, acceptaient de se saborder pour donner naissance au Jaraaf qui devait porter tous nos espoirs et en symbolisant tout ce dont, en tant que citoyens, en tant que Sénégalais, nous avions rêvé..
Le temps des militaires est révolu, le temps des banquiers est révolu et nous supplions avec l’auteur de ne pas laisser passer l’heure des professeurs. Faisons en sorte que tous, quelle que soit notre origine, quel que soit notre milieu, nous acceptions par des actes et au nom de l’humanité d’ouvrir les portes du cœur du sociétaire de l’ASC les JARAAF afin qu’il prenne place dans le grand ballet du monde.
Nous voulions déjà donner une nouvelle éducation à la volonté, au cœur aussi bien qu’à l’intelligence.
Nous nous étions juré dans nos actes, que l’idéal qui a pour mot d’ordre « service » devait remplacer l’égoïsme et la lâcheté.
Notre devise YARU YEWU YEETE devait nous rappeler, comme le bandeau noir sur la poitrine de chaque marin français, la mission que nous nous étions assignée et qui consistait à faire en sorte que dans le monde de demain notre contribution soit marquée d’une pierre blanche.
Le Sénégal, comme l’Afrique dans son ensemble et d’une façon générale tous les pays soumis à un processus d’évolution rapide, souffre d’un déséquilibre social profond dont l’origine tient, pour une bonne part, du grave malentendu qui chaque jour davantage sépare anciens et jeunes.
Les anciens s’appuient sur des structures sociales, sur des conceptions, qu’ont exprimées pleinement les personnalités africaines. Quant aux jeunes, s’ils ressentent confusément le caractère périmé de cet ordre social, c’est pour s’y soustraire.
Notre mérite c’est d’avoir compris tôt qu’au rythme où rien n’a pu cependant être encore préparé qui serve de cadre d’enthousiasme des jeunes et où puisse s’abreuver leur volonté de travailler à la grandeur de leur pays, ces jeunes débouchent en terrain armés seulement de leur détermination de tout changer. Ils passent ainsi aux yeux des autres pour de dangereux trublions.
Deux blocs se sont de la sorte formés qui, après avoir cessé de vouloir se comprendre, risquent de s’affronter, menaçant ainsi l’unité morale de notre association. Dans ces conditions, il est difficile à notre action de se manifester efficacement car il n’est d’œuvre véritablement nationale qui ne se fonde sur toutes les couches de notre société et ne vise avant tout à l’union.Canaliser ces forces diverses et parfois contradictoires et les regrouper autour d’un objectif commun impose avant tout qu’un encadrement valable soit trouvé.
Cet encadrement sera animé par la foi et le grand idéal et suscitera un élan en évitant le grand danger de rester sans lendemain.
Inversement, un encadrement rationnel qui ne correspond à un élan psychologique risquerait fort d’avorter parce qu’il y manquerait l’irremplaçable apport d’enthousiasme.
Former dans la foi et l’idéal nos jeunes à des fins positives avec comme lumière YARU, YEEWU, YEETE., c’est donner à la nation les plus utiles promoteurs du progrès et de l’ordre social.
Il faut donc, messieurs, à tous les niveaux nous renouveler.
Oh je le sais il est toujours difficile de se renouveler surtout si cet effort de renouvellement nous est imposé au moment précis où, dans le rythme trépidant de la vie, des contingences multiples nous enserrent d’une manière pressante et menaçant d’occuper le seuil de nos consciences. Cet effort de renouvellement, il faut que le JARAAF sache l’imposer. Il sera d’abord effort de recherche et de méditation tourné vers notre passé, notre hier, notre histoire encore heurtée et sanglante, faite de prouesses et d’éclats aujourd’hui ordonnés en fonction d’impératifs qui, pour n’avoir pas varié, se situent sur un plan plus prosaïque, celui de l’effort et de l’application quotidienne. Il sera ensuite effort de compréhension et d’amour. « Nous sommes embarqués », disait Pascal.
Et si comme j’ai eu l’excellent espoir, notre œuvre réussit, nous pourrons avec un légitime orgueil nous rendre le témoignage d’avoir travaillé à l’émancipation morale du peuple sénégalais.